22 Avril 2013
Dans un profond silence, les flocons s’abattirent sur sa crinière de soie noire.
Alors seulement, depuis une éternité, ou peut-être deux, elle ouvrit les yeux.
Les pupilles se dessinèrent dans ses deux lacs bleus comme pour enfin y esquisser un regard.
Elle fixa l’horizon. Le soleil couchant colorait devant elle le ciel d’un rose pâle.
C’est à cet instant, poussé par une envie plus forte que la raison, qu’elle laissa tomber son corps frêle dans la couverture de coton.
« Qu’il y fait bon.. », songea-t-elle.
Peut-être enfin, que dans l’intime fraicheur du bourreau blanc, elle sentirait se réchauffer son petit cœur anesthésié ?
0h elle n’était pas seule ! Avec elle, Léopoldine partageait le spectacle. Les notes semblaient suivre le mouvement des flocons.
« Bientôt… », murmura-t-elle.
0ui bientôt, elle aussi serait recouverte de blanc. Peut-être finirait-elle par avoir froid ? Qu’importe, la douleur serait bientôt souvenir, bientôt péris, comme celui-ci & comme les autres.
Bientôt, après l’ultime clarté, ses pupilles disparaitraient de nouveau, laissant place à ce vide devenu présence.
Elle ferma les yeux. L’obscurité la serrait maintenant en son sein comme une mère avenante et protectrice. Ses membres s’engourdissaient, dévorés par la glace. Elle ne put retenir un dernier soupir. Non d’inconfort, de soulagement. Bientôt...
Qui avait cru bon d’interrompre l’ultime jouissance d’une mourante ? Ne méritait-elle pas que le temps s’arrête ? N’avait-elle pas déjà assez vécu ?
Elle ouvrit les yeux. Il se tenait debout, devant elle, fixant les deux saphirs qu’elle venait de dévoiler.
Son regard se détourna de celui du troublant individu pour se plonger dans la contemplation du ciel. Le soleil c’était couché pendant qu’elle s’était abandonnée à ses songes morbides.
Le jeune homme ne lui accorda pour seule réponse que le basculement de son visage vers ce sombre voile parsemé d’étoiles. Il reprit, comme si les quelques paroles qu’elle avait daigné lui accorder, n'avaient trouvées d'existence :
Elle tourna brièvement la tête vers lui, debout, qui contemplait la céleste éternité.
Il lui tendit la main, elle tourna la tête vers lui sans esquisser l’ombre d’une expression de visage.
Le jeune homme la contempla perplexe, ne sachant que comprendre.
La peau pâle de la suicidaire avait bleuie depuis qu’elle s’était laissé aller à la faucheuse de glace, ses lèves violacées remuaient désormais difficilement. Il est vrai qu’elle n’était vêtue que d’une chemise noire unie lui tombant à mi-cuisses. Ses escarpins dévoilaient ses orteils nus. Ni gants, ni écharpe, ni bonnet. Il s’était tourné vers elle une unique seconde fois. Déboutonnant son long manteau de feutrine kaki, il l’enleva pour le laisser tomber sur la première moitié du corps de l’adolescente.
Il ne répondit pas.
Il lui tendit la main une nouvelle fois.
Elle s’égosilla sur ces derniers mots quand les larmes perlèrent à ses joues. Elle se recroquevilla sur la feutrine noire.
Ces derniers mots s’étouffaient à peine audibles dans ses sanglots.